Parfois, il nous arrive de
croire fermement à notre réussite. Comment pourrait-on échouer ?
Nous fermons les yeux sur ce qui nous gêne, ceux qui portent
d'immenses pancartes marquées de "Tu vas échouer !"
éloquents. Une fois plus bas que terre, notre beau projet explosé
en mille éclats de verre douloureusement plantés dans notre
derrière, on ne peut que constater à quel point notre échec était
une certitude. Comment avons nous pu, ne serait-ce que l'ombre d'un
instant, être certain que tout allait bien se passer ? Pourquoi nos
yeux n'ont pas aperçu les crocs acérés de la défaite ? Pourquoi
nos narines n'ont pas décelé la violente odeur de la pourriture
d'un projet déjà avorté ? Pourtant, tout le long du chemin, à
chacun de nos pas, nous savons. Nous savons pertinemment que nous
allons trébucher et nous étaler dans la fange de nos propres peurs.
Est-ce l'égo qui nous pousse à refuser la vérité ? Je ne
pense pas. Si c'était le cas, ce dernier nous pousserait à arrêter
net notre démarche pour ne pas être détruit au bout du compte. La
vérité, c'est que nous sommes tous des rêveurs, n'en déplaisent à
ceux qui se veulent pragmatiques, qui cherchons à transmuter
l'impossible en improbable. « Ça ne marche pas avec cette
personne, mais ça ne veut pas dire que ça ne marchera pas avec
moi ! ». Nous sommes tous des putains de crétins aveuglés
par notre envie d'exploser la normalité, de transcender la banalité
pour ne faire qu'un avec le flux du probable. Nous marchons sur un
rondin de bois glissant reliant deux falaises séparées par un
fleuve de lave rongeant petit à petit les parois et fragilisant le
bois du pont. Nous croyons pouvoir arriver au bout tout en étant
conscient, ou plutôt inconsciemment conscient, que nous n'y
arriverons pas. Sans même voir que pendant cette traversée nous
avions les doigts croisés du début à la fin.